Depuis plusieurs années maintenant, un terme prend une place croissante dans le débat public : la souveraineté numérique. Si chacun se fait une idée de ce à quoi peut correspondre ce concept, l’exercice devient plus ardu dès lors qu’on essaye d’en établir une définition claire.

Puisqu’il semble impossible d’englober la notion de souveraineté numérique en quelques phrases, tâchons d’y voir plus clair, avec un tour d’horizon des différentes approches autour du sujet.

 

Internet comme enjeu de pouvoir

 

Avec l’arrivée d’internet sont nés de nouveaux enjeux géopolitiques et entrepreneuriaux. Très vite, des entités étatiques ou non ont cherché à contrôler les ressources du web, à l’instar de la gestion des noms de domaines par exemple. Les États-Unis ont alors un quasi-monopole quant aux ressources et aux technologies.

Puis, lors de la conférence mondiale des télécommunications internationales de 2012, le terme « souveraineté numérique » est lâché. La Russie et la Chine plaident pour un traité international, afin de partager la responsabilité de la gestion du cyberespace. Quant à l’Europe, elle soutient l’idée d’un internet protégeant les libertés individuelles.

Puis viennent en 2013 les révélations d’Edward Snowden sur l’espionnage généralisé des états et individus par la NSA. La remise en question du système de gouvernance du web gagne sa légitimité. C’est à partir de là que de nombreux pays développent leurs propres programmes industriels, en vue de développer des outils numériques nationaux (Systèmes d’exploitation, moteurs de recherche, etc.)

En France, l’an 2014 connait les premières assises de la souveraineté numérique, ainsi que la création d’un institut de la souveraineté numérique. Depuis, les rapports sur le sujet se multiplient, et l’intérêt pour le sujet va croissant.

En 2019 le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la souveraineté numérique décrit la souveraineté numérique comme : La capacité de l’État à agir dans le cyberespace est une condition nécessaire à la préservation de ses valeurs. Cela nécessite une capacité autonome d’appréciation, de décision et d’action dans le cyberespace, ainsi que la maitrise de ses réseaux, de ses communications électroniques et de ses données.

Cela dit, les enjeux étatiques ne sont pas ceux de tout le monde. C’est ce que nous allons voir.

 

 

Divers enjeux, pour divers niveaux

 

En fonction des entités et secteurs, les enjeux de la souveraineté numérique sont très divers. Il va de soi que les individus n’auront pas les mêmes attentes que les états, ou les entreprises. C’est d’ailleurs ce qui rend si difficile la définition de ce concept : elle évolue selon le contexte.

 

 

A l’international

 

A l’échelle internationale c’est la gouvernance des données qui est en jeu. Cette dernière est jusqu’alors mono-latérale, peu démocratique, et souffre d’un manque de transparence de la part de ceux qui l’administrent. Ce sont bien souvent des entités privées, aux ramifications obscures, qui créent les normes dans le secteur. Or ces dernières n’ont pas toujours la légitimité nécessaire, en plus de ne pas être forcément indépendantes des états ou groupes d’intérêts.

De fait, certains pays hors occident tendent à créer un « second » internet, à part, pour échapper au phénomène. Cela aurait un effet néfaste sur l’avenir des réseaux. Pour ne pas en venir là, certains en Europe soutiennent l’idée d’une charte universelle visant à encadrer le développement technologique, en accord avec des principes de diversité, de neutralité, de liberté, etc.

 

Le cas de l’Europe

La charte est d’ailleurs en cohérence avec les enjeux européens. Le rôle de l’Europe est de protéger certaines valeurs communes, à savoir la vie privée, la liberté d’expression, etc. C’est d’ailleurs dans ce but qu’est né la célèbre RGPD qui encadre le traitement des données personnelles sur le territoire de l’Union Européenne.

Ainsi, l’Union Européenne lutte contre la capitalisation sur les données personnelles comme le stockage de masse longue durée, la vente et diffusion des données, etc. Elle a un vrai poids du fait que les consommateurs européens soient le premier marché des GAFAM.

 

Vision libérale

Cet objectif de protection des utilisateurs, c’est la vision libérale de la souveraineté numérique. Dans cette conception, c’est l’utilisateur qui doit être souverain, selon le principe d’autodétermination des individus. Ces derniers ont alors la possibilité de choisir d’utiliser ou préférer une technologie, ce qui n’est pas toujours le cas avec les quasi-monopoles existants dans le secteur numérique. Ils ont la possibilité d’éviter certaines applications, ce que certains systèmes d’exploitation ne permettent pas toujours par exemple. Enfin, ils ont voix au chapitre quant à la normalisation technique.

Cela est rendu possible par des droits ou garanties, tels que les droits au déréférencement et à l’oubli des données, ainsi que la protection et la portabilité des données par exemple.

 

 

A l’échelle des états

 

Les états et leurs économies sont très dépendants de la technologie. Cela les affaiblit et limite leur marge de manœuvre, car il est alors difficile pour eux de faire respecter ou d’imposer leurs normes, à l’instar de la taxe GAFA, ou de la RGPD pour l’Europe. En outre, les problématiques légales d’extraterritorialité rendent d’autant plus difficile l’application de leurs lois.

Qui plus est, la cybercriminalité monte en puissance. Elle est parfois même étatique (espionnage, attaque d’entités stratégique) et sert des jeux de pouvoirs entre les nations. Les réseaux sociaux aussi sont le théâtre de campagnes de déstabilisation ou de manipulation de l’opinion public, comme l’a montré la campagne présidentielle de 2016 aux Etats-Unis.

Pour ces raisons et d’autres encore, les états tendent à développer des solutions d’archivage et d’hébergement nationales. Le « cloud souverain » est un enjeu stratégique majeur, de même que le développement de technologies logicielles et matérielles nationales.

 

Vision juridique

Pour arriver à leurs fins, les pays appliquent une vision juridique de la souveraineté numérique. Cette dernière consiste en des revendications de droits, et à un renforcement juridique quant au cyberespace. Les objectifs divergent selon les pays. Ainsi, certains s’arrogent des droits de contrôles sur les technologies qu’ils maitrisent (cloud, systèmes d’exploitation des smartphones, etc.) ce qui donne lieu à des conflits économiques, comme l’a montré l’embargo des USA contre Huawei. D’autres à l’inverse œuvrent à une vision plus libérale, comme précédemment décrite.

 

 

A l’échelle individuelle et collective

 

Des individus et groupes d’individus exigent un certain nombre de droits sur les technologies numériques, comme la liberté du web ou encore la propriété totale de leurs équipements.

Il y pour aller en ce sens un enjeu à l’éducation des utilisateurs. La souveraineté des individus passe par leur émancipation. S’ils sont plus expérimentés avec une meilleure maitrise technologique, alors ils sont moins sensibles à l’influence d’entités marchandes ou politiques, plus attentifs à la cybercriminalité, etc.

 

 

A l’échelle des acteurs économiques

 

Les entreprises sont on ne peut plus concernées par la souveraineté numérique. Évidemment, on pense immédiatement aux GAFAM lorsqu’on aborde ce sujet. Ces géants du numérique ont de facto une souveraineté, du fait de leur grand pouvoir sur une partie de l’espace numérique.

Ils ont en outre un pouvoir de normalisation via les conditions générales de vente par exemple, mais aussi d’influence sur les utilisateurs, grâce à leurs politiques de modération, aux algorithmes qui orientent les utilisateurs, à l’utilisation de données personnelles, etc.

Pour les autres, ils sont de plus en plus dépendants du numérique. Les applications futures du big data associé à l’IA et aux algorithmes sont colossales. A force le niveau technologique des entreprises engage leur crédibilité ainsi que leur compétitivité. Laisser un gap numérique s’installer pourrait à terme devenir synonyme de faillite pour les sociétés.

C’est d’ailleurs aussi pour cela que sont développés des solutions nationales, européennes, etc. La forte centralisation des acteurs du numérique (États-Unis, Chine) fait peser une dépendance forte des autres pays.

 

 

Pour conclure

 

La souveraineté numérique prend autant de forme qu’il y a d’acteurs pour la revendiquer. Chaque approche sert des buts et des intérêts différents. Finalement, les débats visent beaucoup à déterminer les règles, mais surtout l’entité qui a la responsabilité de les fixer. Alors, d’autres questions sous-jacentes surgissent, comme la légitimité de ces entités, les garanties vis-à-vis des règles établies, etc.

La souveraineté numérique est en fait, au même titre que la souveraineté nationale, un enjeu de pouvoir et de protection des citoyens de chaque pays. Nul doute que nous n’avons pas fini d’en entendre parler !

 

Merci pour la lecture de cet article ! Prochainement nous aborderons de nouveau ce vaste sujet, pour voir et comprendre ce que font la France et l’Europe pour défendre leurs intérêts, ainsi que ceux de leurs citoyens.

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